Cher Nicolas,
C’est avec un immense bonheur que j’ai Ă©coutĂ© votre CD. Vous ĂŞtes trois musiciens magnifiques magnifiant ces pages avec autant d’Ă©motion que de virtuositĂ©. Ici la vraie musique reprend ses droits: influence romantique, sĂ©duction latino-amĂ©ricaine. Contre tous les mensonges, ces partitions tĂ©moignent: inspiration nourrie aux sources vives de la connaissance Ă©ternelle et du charme envoĂ»tant de cette musique de lumière faite de savoir et de sortilège. L’accordĂ©on de GrĂ©gory Daltin triomphe, mĂŞlant avec jubilation plaisir populaire et noblesse instrumentale. La mandoline de Vincent Beer-Demander s’affirme comme un instrument rare et plus qu’enchanteur par la force de son expression. Ton piano, bien sĂ»r, rassemble toutes les influences merveilleuses et votre CD s’impose non seulement comme un hommage sensible et talentueux Ă Lalo Schiffin mais encore comme une rĂ©fĂ©rence incontournable Ă ce qu’est l’art vĂ©ritable: immortel parce qu’indĂ©modable.
Bravos chaleureux et infinis.
Edouard Exerjean
http://edouard-exerjean.com
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… afin de vous annoncer la parution du disque « Lalo Schifrin for mandolin », une merveille – je pèse le mot ! – qui rĂ©unit deux Ĺ“uvres originales du gĂ©nial compositeur de «Mission impossible» et de plus de cent-dix musiques de film, et deux autres par lui inspirĂ©es. Une rĂ©alisation magistrale de deux jeunes-grands musiciens marseillais tous deux compositeurs, le mandoliniste Vincent Beer-Demander et le pianiste Nicolas Mazmanian*.Â
Pour avoir écrit les musiques de Mission impossible, de Mannix, de Starsky et Hutch et de bien d’autres séries télévisées ; celles de Bullit, L’inspecteur Harry, Opération Dragon, Les Félins, Le kid de Cincinnati, Les Proies, Un schérif à New York et de quantité d’autres films de cinéma – sans oublier The Fox (Le Renard), devenu la mythique « promo » des sous-vêtements « DIM » (1) – Lalo Shiffrin a été honoré en novembre 2018 à Los Angeles d’un « Oscar d’honneur », couronnant l’ensemble de son œuvre. A 89 ans aujourd’hui, véritable légende vivante, il reste l’un des quatre ou cinq compositeurs les plus réputés au monde dans sa discipline.
Né à Buenos-Aïres en 1932, il a passé son enfance en Argentine, élevé par son père Luis, violoniste professionnel qui lui a fait étudier le piano avec Enrique Barenboïm (le père de Daniel). Il est venu en France au début des années 1950 pour quelques années d’étude au CNSM de Paris, notamment auprès d’Olivier Messiaen. Notez que, dans les années 60, il passera aussi par Marseille avec le batteur Daniel Humair pour y jouer (au théâtre Silvain) en compagnie du duo formé de J.B Eisinger au piano et Roger Luccioni à la contrebasse… C’est sa rencontre providentielle avec Dizzy Gillespie, dont il était devenu le pianiste attitré, qui l’a décidément conduit à faire carrière de jazzman et d’arrangeur. Puis, ce sera l’installation à Los Angeles pour y écrire ses premières musiques de films… sans renoncer pour autant à son travail assidu de compositeur « classique ».
C’est donc chez lui à Los Angeles que nos deux Marseillais un peu fous sont allés voir « Lalo » ; une première fois dans le but de lui suggérer d’écrire un concerto pour la mandoline, un instrument pour lequel il n’avait jamais composé la moindre note ; et une deuxième, l’œuvre ayant été reçue, répétée, interprétée en quelques occasions, afin de la jouer pour lui. C’est peu dire qu’il en a été séduit, il en a été emballé – C’est formidable, incroyable, je suis très heureux ! Comme il l’a été à l’audition des Variations sur un thème de Lalo Schifrin composées pour mandoline et piano par Nicolas Mazmanian. Deux documents vidéo réjouissants restituent ses compliments à ses deux complices devenus amis. A Vincent : Vous êtes absolument un virtuose ! A Nicolas : Vous êtes un compositeur, vraiment ! Vous avez beaucoup à dire ! (2)
Et voici le disque, point d’orgue – provisoire, comme tous les points d’orgue – de l’aventure de notre duo marseillo-hollywoodien. Au programme : de Lalo Schifrin, le fameux Concerto del Sur, ici proposé dans sa version de chambre, pour mandoline et piano ; c’est la Sonata del Sur ; et une savoureuse Fantaisie pour mandoline et accordéon dédiée à Vincent Beer-Demander et à l’accordéoniste Grégory Daltin, qui en sont les interprètes. Et puis, de Nicolas Mazmanian, ses sept superbes Variations sur un thème de Schifrin pour mandoline et piano et sa non moins séduisante Fantaisie concertante dédiée à son virtuosissime collègue mandoliniste.
Dans le livret accompagnant l’album, le musicologue marseillais Lionel Pons, qui a suivi note à note les étapes de sa mise en œuvre, nous introduit à l’écoute par une analyse fort savante de chaque pièce, avec les mots évidemment les plus justes qui conviennent. Je ne saurais rivaliser avec lui sur ce terrain et me contenterai de vous dire deux ou trois sentiments que m’inspire l’écoute en boucle de ce Lalo Schifrin for Mandolin. Des œuvres de ce Lalo-là , plus qu’octogénaire au moment de leur composition, se dégagent une étonnante jeunesse d’esprit, avec l’énergie, l’alacrité qui va avec, en même temps que la tendresse et la nostalgie. Que sa musique fasse image, on ne s’en étonnera pas de la part d’un musicien de cinéma ; il y réunit tous les univers qui sont les siens du classique et du jazz ici indissociables, dans une même quête du chant et du rythme et c’est un bonheur constant que d’écouter cette musique inventive, puissamment évocatrice, dans l’interprétation jubilatoire du duo Beer-Demander-Mazmanian.
Je connaissais le concerto devenu sonate pour l’avoir entendu en répétition, puis en concert avec orchestre lors d’une des « Nuits de Carli » au CNRR « Pierre Barbizet » de Marseille ; mais c’est avec surprise que j’ai découvert la Fantaisie pour mandoline et accordéon que Lalo Schifrin a écrite en 2019 pour Vincent Beer-Demander et Grégory Daltin, où l’alliance de ces deux instruments populaires est tout au service de l’imagination enthousiaste et débridée du toujours jeune compositeur. Quel régal que tout cela!  One of the best interpretation of my music, lit-on sur la couverture du CD – c’est signé Lalo Schifrin.
Quant aux deux autres œuvres au programme, elles sont signées Nicolas Mazmanian. Et, croyez-moi, elles sont dignes du maître qui les a inspirées. Ses Variations sur un thème de Lalo Schifrin, qui ouvrent le disque, évoquent sa vie et son œuvre : l’Argentine, le tango, Bach et la musique baroque, Messiaen… et, comme il se doit, Mission impossible. Et on en entend de toutes les couleurs ! C’est du grand Mazmanian ; de même que sa Fantaisie concertante dédiée à Vincent Beer-Demander, une Vincentaisie en trois mouvements où se succèdent et s’entremêlent les atmosphères de musique ancienne, de rock plus ou moins gothique, de blues et de tendre rêverie. Bravo !
Qu’il nous soit donné bientôt d’aller dans une salle de concert – comme autrefois, vous vous souvenez combien c’était bon ! – pour y écouter les œuvres splendides dont je viens de vous faire l’éloge ! C’est un des vœux premiers que je formule en ce début d’année (3). En attendant l’heureux jour de ces retrouvailles, toutes distances abolies, dans le coude à coude fraternel des amoureux de musique, procurez-vous, dès ce 1er février, cette galette succulente : Lalo Schifrin for mandolin.
Et réjouissez-vous avec moi de l’heureuse conclusion de la Mission Mandoline lancée il y a deux ans pour sa réalisation. Oui, mission accomplie ! On rêve d’une suite…
Jacques Bonnadier